Une enquête exclusive pour IRSS
Enquête exclusive : Les Français et leur prénom, une relation sous influences
En tout début d’année, un tribunal de la ville allemande de Rostock a interdit à un couple de prénommer leur enfant Lucifer au titre du préjudice moral qu’un tel choix pourrait constituer. En France, la créativité débridée de certains parents fait régulièrement l’objet de décisions similaires qui ont évité à des nouveau-nés de s’appeler Mini-Cooper, Bâbord et Tribord (pour des jumeaux) ou encore Ikea…
Sans aller à de telles extrémités, quel rapport les Françaises et les Français entretiennent-ils à leur prénom ? En sont-ils heureux ou, au contraire, le portent-ils comme un fardeau ? Ont-ils déjà subi des moqueries et reproché à leurs parents le choix qui a été le leur ? Quels sont les critères qui ont prévalu lorsqu’il s’est agi de prénommer leurs propres enfants ? Et eux-mêmes ont-ils le sentiment de s’être trompés ?
Afin de répondre à ces questions et à bien d’autres, IRSS a confié à l’organisme spécialisé en statistiques FLASHS le soin d’interroger un panel de quelque 2 000 personnes, dont plus de 1 300 parents. Entre amour, moqueries, regrets, leurs réponses dressent un tableau précis du rôle que joue notre prénom, signe distinctif par excellence que l’on ne choisit pas mais qui nous accompagne tout au long de notre vie.
Les jeunes plus nombreux à aimer leur prénom
Plus de 9 Français sur 10 (93%) aiment leur prénom, dont près de la moitié (48%) disent l’aimer beaucoup et, dans une proportion légèrement moindre (45%), l’apprécier sans plus. Celles et ceux qui n’aiment pas leur prénom (6%) sont donc très minoritaires, plus encore lorsqu’ils le détestent (1%). L’âge joue un rôle important dans cette relation au prénom. Les plus jeunes sont nettement plus satisfaits : 59% des 18-24 ans aiment beaucoup leur prénom. Ce chiffre baisse progressivement avec l’âge pour atteindre seulement 37% après 65 ans. Les chiffres témoignent également d’une légère différence selon le genre : les femmes sont plus nombreuses à ne pas aimer leur prénom, avec 9% d’insatisfaites contre 4% chez les hommes.
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Banal, original ou vieillot…
Au-delà de cette appréciation générale, la façon dont les Français perçoivent leur prénom révèle des nuances intéressantes. Ainsi, lorsqu’on leur demande de qualifier d’un mot le leur, le terme « banal » arrive en tête des réponses, avec plus du quart des répondants (27%) qui le jugent tout à fait ordinaire. A l’inverse, 20% estiment que celui qu’ils portent est « original » et, dans des proportions très proches, 19% le voient comme « élégant ». Près d’un Français sur six (14%) dit porter un prénom « vieillot », soit bien plus que ceux qui le considèrent « moderne ». Enfin, un sur dix (11%) n’exprime pas d’avis sur la question.
Moqueries et reproches
La grande majorité des Français (79%) n’ont jamais fait l’objet de moqueries à cause de leur prénom. Parmi les 21% qui ont vécu cette expérience parfois douloureuse,16% y ont été confrontés pendant leur scolarité uniquement, et 5% disent la vivre encore aujourd’hui. Ces quolibets touchent beaucoup plus les jeunes puisque 42% des 18-24 ans les ont subies contre 14% chez les 50-64 ans et seulement 8% chez les plus de 65 ans. Il est possible que la plus grande diversité des prénoms donnés aujourd’hui, une mémoire bien plus fraîche et une sensibilité accrue aux phénomènes de harcèlement expliquent ces différences marquées entre générations.
Les victimes de ces moqueries figurent probablement parmi les 18% de Françaises et de Français qui ont déjà reproché à leurs parents le prénom qui leur a été donné (7%), ou qui y ont songé sans toutefois le leur dire (11%). Mais nombre de mères et de pères seront rassurés en apprenant que plus de 8 répondants sur 10 ne leur portent pas grief à ce sujet.
Un critère de jugement a priori
Quand on est doté d’un prénom que l’on n’aime pas ou qui suscite des railleries, il peut être tentant de s’en libérer en en utilisant un autre. Plus d’un Français sur dix (13%) a été dans ce cas, dont 4% indiquent que c’est pour eux une pratique courante. Est-ce parce qu’ils craignent d’être jugés de prime abord sur leur prénom qu’ils agissent ainsi ? Toujours est-il que plus du quart des personnes interrogées (27%) reconnaissent s’être déjà fait une opinion d’une personne sans la connaître en se fondant sur cet unique critère.
Un choix partagé entre conjoints
Choisir le prénom de son enfant n’est donc pas sans conséquences éventuelles sur sa vie future. Cette décision, 73% des parents interrogés dans cette enquête disent l’avoir prise ensemble. Parmi les 14% qui indiquent avoir tranché seuls, la primauté revient plus souvent aux femmes qu’aux hommes (19% contre 10%) tandis qu’un parent sur dix (11%) déclare que le choix a été celui de sa ou son partenaire. Très rarement, le dernier mot appartient à la famille (2%) ou à des amis proches (1%).
Les critères qui comptent
Qu’il soit mûrement réfléchi ou fruit d’un coup de cœur, le choix du prénom obéit à un certain nombre de critères pris en compte par les parents avant la déclaration officielle à l’état civil. En tête des préoccupations, une prononciation simple et claire a guidé un tiers (33%) des répondants, suivie dans un mouchoir de poche par le fait de ne pas exposer son enfant à des moqueries (32%), la volonté de donner un prénom qui soit original (31%) ou qui revêt une belle signification (28%). La famille joue également un rôle non négligeable : 26% des parents ont opté pour un prénom qui plaise au cercle intime, une préoccupation plus présente chez les hommes (32%) que chez les femmes (20%). Par ailleurs, 11% ont souhaité respecter une tradition familiale en donnant, par exemple, le prénom d’un aïeul à leur nouveau-né. Il est également intéressant de noter que plus d’un parent sur dix (11%) a changé d’avis sur le prénom auquel il pensait à la suite des remarques ou critiques de son entourage.
Des regrets rares mais réels
Cette réflexion qui précède l’attribution du prénom limite à l’évidence les risques de remords ultérieurs. En effet, 92% des parents disent n’avoir jamais regretté celui qu’ils ont donné à leur enfant. Mais près d’un sur dix (8%) tout de même éprouvent ce sentiment, soit parce qu’ils n’ont jamais été convaincus du bien fondé de leur choix (3%), soit parce que cette erreur leur est apparue au fil du temps (5%). Interrogés plus spécifiquement, la moitié de ces parents (50%) ont songé à changer légalement le prénom de leur enfant. Et parmi eux, 11% ont effectivement entrepris les démarches en ce sens tandis que 32% vont le faire.
Qu’ils soient marques d’affection ou diminutifs, on aurait pu penser les surnoms plus répandus, l’on aurait pu penser la pratique plus courante : à peine plus de la moitié (54%) des parents donnent un surnom à leur enfant, un « petit nom » qu’ils sont 25% à employer de manière préférentielle au prénom officiel. Bien que leur enfant ait également un surnom, 29% privilégient toutefois l’usage du prénom officiel.
Un encadrement jugé nécessaire
Si nombre de parents ont conscience que le prénom qu’ils vont donner peut s’avérer un lourd fardeau à porter, d’autres ne semblent pas en mesurer l’impact potentiel. Pour éviter d’éventuelles dérives préjudiciables à l’enfant, les Danois doivent par exemple s’en tenir à une liste préétablie. Si une telle restriction n’existe pas en France, les officiers d’état civil sont néanmoins chargés de veiller aux intérêts du nouveau-né. Ainsi, Nutella, Titeuf, Dileur ou encore Joyeux ont déjà été refusés. Une restriction à laquelle adhèrent majoritairement les Françaises et les Français interrogés dans notre étude : 58% considèrent qu’il convient de maintenir un certain contrôle et 11% pensent même qu’il faudrait renforcer l’encadrement des prénoms autorisés. Mais près d’un répondant sur cinq (19%) estime au contraire qu’une liberté totale devrait être laissée aux parents.
Enquête réalisée par FLASHS pour IRSS.fr du 21 au 28 janvier 2025 par questionnaire autoadministré en ligne auprès d’un panel Selvitys de 2 000 Français et Françaises (dont 1 337 parents), âgé(e)s de 18 ans et plus, représentatif de la population française.